Compte-rendu de la séance du 6 novembre 2011

Excusés : Michel Bastien, Yves Bellekens, Michel Benoît, Martine Giboire, Serge Pradel, Dominique Barthès, André Rousselet, Françoise Mariotti, Jacques Faucher

 

Présents : Michel Bakri – Michel Galtier – Yann Parquer– Pierre Pereira da Silva– Edith Houspic – Youssef Hariri– Christian Dupraz– Chantal Kubasiak – Alain Weiss– Philippe Monnin – Jacques Bertrand – Alain Neveu – Pascal Gouget – Julien Maugin –Zoé Amiel– Anis Mabrouk– Bernard Taponot– Elie Nicolas – Jean-Luc Bernet

 

I – Bibliographies

 

1) Proposées par Elie Nicolas

* Sur diverses questions philosophiques

La déconstruction du christianisme – La déclosion - Jean-Luc Nancy (Galilée)

L’organon IV – Aristote (Vrin)

Traité de l’âme – Aristote – (Pocket)

Epicure et son école – Geneviève Rodis-Lewis (Gallimard – Folio)

La malle de Newton – Loup Verlet (Gallimard – NRF)

Hammerstein ou l’intransigeance – Hans-Magnus Enzensberger (Gallimard – NRF).

* Sur la rumeur :

-De source sûre – Jean-Bruno Renard (reçu au Cercle zététique en 2009) (pas trouvé l’éditeur sous cette signature et sous ce titre : sous ce titre, il s’agit de Véronique Campion-Vincent, éditeur Payot)

 

2) Proposées par Alain Neveu

L’archéologie devant l’imposture – Jean-Pierre Adam (Laffont)

Magie et religion dans l’Afrique du nord – Edmond Doutté : ouvrage téléchargeable à l’adresse suivante : http://www.vitaminedz.com/articlesfiche/23/23996.pdf

Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête, ouvrage collectif dirigé par Sylvie Brunel et Jean-Robert Pitte, tous deux géographes. Chez JC Lattès.

(Vérification faite, il s’agit bien d’un ouvrage, que j’ai commandé et dont nous parlerons peut-être la prochaine fois, mais aussi d’un colloqueorganisé et dirigé par Sylvie Brunel. Tapez les mots-clés, vous aurez entre autres droit à son interview. J-LB)

 

II - Sujet du jour : le point sur la question de l’énergie

Jean-Luc Bernet

Sujet évidemment particulièrement prétentieux par son ambition, qui dépasse de très loin et ma compétence et le temps dont je pouvais disposer pour le préparer.

 

J’ai d’abord tenté de situer le problème comme suit :

 

Sur le plan historique, considérons que les sources d’énergie ont été aux différentes époques les suivantes

  • jusqu’à la révolution industrielle, pour l’essentiel la biomasse

  • puis la mise au point de procédés utilisant l’hydraulique et l’éolien

  • avant de passer le relais aux énergies fossiles, charbon d’abord puis pétrole

 

La double problématique de l’épuisement des ressources et de l’impact environnemental nous a fait entrer depuis 20/30 ans dans une période de transition qui devrait amener vers les années 50 à inventer de nouvelles ressources qui seront un mixte d’énergies renouvelables, de fossiles et de nucléaire (en espérant que la part des deux derniers ira décroissant) et de ressources tirées de la fusion nucléaire. Cf. le projet ITER, extrêmement coûteux (et de plus en plus) qui devrait (ce sont les prévisions actuelles, susceptibles d’être une fois de plus retardées) produire au début des années 2020 500 MW avec une mise énergétique de départ de 50 MW).

 

J’aurais souhaité illustrer cette notion de transition énergétique par quelques exemples (ce que je n’ai pu faire qu’en partie)

  • en parlant du protocole de Kyoto (que je n’ai pas eu le temps d’aborder)

  • en parlant du plan énergie de l’Union européenne adopté en décembre 2008 à Bruxelles, dont il peut être utile de dire qu’il est conforté par le Traité de Lisbonne, qui fait de l’énergie une compétence partagée entre les États-membres dans un esprit de solidarité et en tenant compte de la nécessité de préserver et d’améliorer l’environnement (modification de l’article 176). Référence : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2007:306:0042:0133:FR:PDF

- en donnant un exemple où la volonté politique et une législation intelligente peut modifier la donne sans douleur (classification énergétique des réfrigérateurs, intervention de Thierry Salomon, cf. ci-après)

 

J’ai rappelé ce que je crois être les enjeux de la question de l’énergie :

  • L’épuisement des ressources

  • La croissance exponentielle de la consommation (notamment dans les transports)

  • Les inégalités mondiales (et les risques de conflit)

  • Le changement climatique

  • Les dangers du nucléaire (déchets, prolifération)

  • Les incertitudes, à la fois techniques et économiques qui pèsent encore sur les sources alternatives de production énergétique

 

Je me suis appuyé sur « l’État des énergies renouvelables en Europe – 2009 », édité par Observ’ER, éditeur de diverses revues professionnelles, notamment « Systèmes solaires » pour voir où en était la diversification des sources de production d’énergie suite à la publication du Livre blanc européen sur l’énergie (1997 déjà) et 11 ans plus tard (décembre 2008) la décision de Bruxelles (du Conseil, non de la Commission) dite 3 X 20, ce qui signifie qu’en 2020, nous devrons avoir

  • 20% de Gaz à effet de serre en moins,

  • 20% d’économies d’énergie par rapport à 1991,

  • 20% d’énergies renouvelables dans la production énergétique totale des pays membres.

En passant en revue les sources d’énergie renouvelable les unes après les autres, on constate que globalement, de l’avance a été prise dans la plupart des domaines. Pour mémoire, les domaines en question sont :

  • l’éolien

  • le solaire photovoltaïque

  • le solaire thermique

  • le petit hydro-électrique

  • le géothermique (électrique et thermique direct)

  • les pompes à chaleur

  • les énergies de la mer

  • la biomasse solide

  • les biogaz

  • les biocarburants (nom impropre ainsi que la discussion l’a rappelé : il faut parler d’agricarburants)

  • la valorisation des déchets

 

(Pour l’anecdote, rappelons que la France avait essayé, dans les discussions qui ont précédé l’adoption de ce plan européen 3 X 20 de décembre 2008, de faire inclure le nucléaire dans les énergies « propres », d’abord en totalité, puis en partie, ce qui lui a valu un éclat de rire général parmi les autres pays membres. Mais comme ils sont gentils, l’affaire ne s’est pas trop ébruitée.)

 

J’ai agrémenté mon exposé de deux extraits très courts d’une conférence publique passionnante animée par trois pointures sur la question de l’énergie : Yves Cochet, Thierry Salomon, président de l’association « NégaWatts » et Bruno Rebelle, ex directeur de Greenpeace France et ex-conseiller de Ségolène Royal sur les questions d’énergie. Cette conférence m’avait été utilement suggérée par notre ami Philippe Monnin. Je vous y renvoie pour tout complément, le lien est le suivant :

http://www.canalc2.tv/video.asp?idVideo=7771&voir=oui

Pour mémoire, les passages que je souhaitais visionner (chose que je n’ai pu faire qu’en partie faute de temps) se situent aux emplacements suivants :

  • sur la classification énergétique des réfrigérateurs : dans l’intervention de Thierry Salomon, de 12’23’’ à 15’ et quelques

  • sur la taxe carbone : Yves Cochet à 1h52’

  • sur le protocole de Kyoto (Yves Cochet) : à 1h50’

  • sur la question des transports (notamment aériens) : cf. Yves Cochet à 2h29’

 

J’ai insisté au passage sur la question des transports sur deux aspects en particulier.

1) En ce qui concerne la voiture, le problème est connu, il n’est pas vraiment utile d’y insister sauf pour rappeler deux choses.

a) Yves Cochet évoque dans son intervention quelque chose qu’il appelle l’effet-rebond. En gros, chaque progrès réalisé dans la consommation d’énergie par km parcouru (qui est donc également une réduction de la dépense engagée par km parcouru), se traduit par une augmentation du nombre de km parcourus. Et on revient ainsi à la case départ…

b) …et cela est d’autant plus préoccupant que contrairement à une idée reçue, l’essence n’est pas chère, pas assez chère. Je rappelais ce chiffre simple : à la veille de mai 68, le litre de super coûtait 1F et le SMIC était à 2,40F. Un SMICard travaillait donc 24 mn pour se payer 1L de super. En 2010: l’essence est à 1,3 €/L, le SMIC est à 8,86€, un SMIcard travaille donc moins de 9 mn pour 1L de super.

Heureusement, on peut prévoir qu’elle augmentera dans les dix ans à venir à la suite mécanique du prix du baril, il nous reste à espérer que cette augmentation sera importante et durable, c’est le seul moyen de reporter véritablement la consommation sur d’autres modes de transport et de favoriser les filières de production de véhicules utilisant d’autres énergies que les fossiles.

 

2) En ce qui concerne le transport aérien, Yves Cochet prophétise à la fin de la conférence à trois la disparition pure et simple du transport aérien dans les années 20 du fait d’un prix du kérosène devenu prohibitif. Il est vrai que la croissance continue du transport aérien annule chaque année inexorablement une partie des progrès réalisés dans les émissions de gaz à effet de serre. A l’inverse, il est également vrai, comme le fera observer Christian Dupraz au cours de la discussion, qu’une partie des déplacements qui se faisaient autrefois en avion sont de plus en plus aisément remplacés

- soit par des déplacements en train, malgré tout moins énergivores

- soit par d’autres formes, comme les visio conférences (et là, on est bien dans une démarche négaWatt).

Reste que l’explosion des transports aériens s’analyse aussi comme un formidable instrument de connaissance réciproque et de découverte des autres cultures, ce qui est plutôt une bonne chose même si tout le monde n’y a pas accès. Devoir renoncer à cela serait sans doute regrettable. Une alternative, peut-être ?

Les dirigeables ? Et pourquoi pas des dirigeables solaires ?1

C’était notre rubrique, comment dit Broch, déjà ? Ah oui « le devoir de vigilance a pour pendant le droit de rêver » ou un truc de ce genre.2

 

Pour compléter utilement votre information, voici également une autre intervention, celle de Jean-Marc Jancovici (proche des trois autres intervenants qui font référence à lui) : http://storage02.brainsonic.com/customers2/entrecom/20080227_Spie/session_1_fr_new/files/index.html

 

Quelques références

  • l’Etat des énergies renouvelables en Europe, disponible auprès d’Observ’ER,146, rue de l’Université 75007 Paris – www.energies-renouvelables.org

  • la Maison des [néga]Watts, Le guide malin de l’énergie chez soi, de Thierry Salomon et Stéphane Bedel, Editions Terre vivante

  • pour le fun, j’avais apporté ma collection complète de la Gueule Ouverte, publication écolo des années 70, quelque peu radicale, parfois même carrément mensongère, mais malheureusement lucide à bien des égards, qu’il est amusant de relire aujourd’hui avec le recul. S’y trouvent notamment les « Chroniques de l’énergie solaire » du regretté Reiser, jamais publiées pour des raisons mystérieuses (sans doute des bisbilles juridiques).

 

 

Débat 

La discussion qui s’est ensuivie a soulevé bien des points passionnants sur lesquels les opinions sont loin d’être unanimes. Quelques exemples :

1) Que penser de la politique actuelle de rachat de productions photovoltaïques par EdF à des tarifs incontestablement avantageux ?

* Pour certains, c’est un scandale, considérant que cet apport reste de toute façon minime et que l’efficacité du photovoltaïque reste à démontrer. D’autant que l’empreinte carbone de la production de panneaux est loin d’être nulle (Elie). Pour Michel Galtier, ce n’est qu’une décision purement politique, sans la moindre justification économique, qui s’analyse comme une subvention aux producteurs allemands et japonais, puisque les Français n’ont pas su profiter de ce créneau, sinon comme installateurs. En l’absence de subventionnement, une installation photovoltaïque s’amortirait non pas sur 20 ans mais sur 60 ans.

* Pour d’autres, même avec ses faiblesses, le photovoltaïque permet d’éviter la construction d’un certain nombre de centrales nucléaires. L’aspect économique n’est donc pas absent même si en effet il s’agit bien d’une décision politique qui permet à la France de faire sa part de l’effort prévu par le plan énergie de Bruxelles et qui lance la filière. De plus l’histoire économique connaît d’autres exemples où des producteurs subventionnent l’achat par des consommateurs de matériels moins énergivores pour s’éviter des investissements lourds (Westinghouse dans les années 90). D’autre part, les rendements sont passés en 30 ans de 5% à 15%, et tout porte à penser qu’ils vont continuer de croître ; un des participants assure que les rendements de la dernière génération sont de l’ordre de 22% et cite l’exemple de panneaux assurant en laboratoire des rendements de 45%. De plus les rendements sont meilleurs lorsque le solaire est prévu à la construction au lieu d’être ajouté au bâti existant (problème d’orientation et d’inclinaison). Christian Dupraz invite à visiter une installation de l’INRA à La Valette qui associe des panneaux photovoltaïques surélevés à des cultures au sol : l’emprise au sol devient ainsi négligeable.

A partir de mon propre exemple (J-L B), je fais observer que mes 16m² de panneaux photovoltaïques produisent 3500 kwh, soit entre 20 et 25% de ma consommation annuelle totale (autour de 16000 kwh). Autrement dit, il suffirait de multiplier par 4 la surface revêtue de panneaux, et/ou d’en améliorer la productivité (chose réalisable car les installations actuelles intégrées au bâti n’ont ni la bonne inclinaison, ni la bonne orientation puisqu’il n’y a pas de poursuite) pour assurer l’autonomie d’une villa tout à fait banale. C’est donc loin d’être hors d’atteinte, quoi qu’on en dise.

 

2) Certains rappellent que si le photovoltaïque présente incontestablement des inconvénients, le solaire thermique est un procédé parfaitement fiable, considérablement sous-utilisé en France, ce qui est aisément vérifiable. Alain Neveu rappelle aussi que si la filière solaire en France n’a jamais pu démarrer en France, une des raisons en est sans doute qu’elle a été incarnée dans les années 70/80 par des gens qui n’étaient pas des fabricants ou des installateurs sérieux (babas cools) et qu’elle a pu ainsi être facilement décrédibilisée.

 

3) Philippe insiste sur le caractère rationnel et utile de la démarche NégaWatts : il ne s’agit là ni de dogmatisme écologique, ni d’un quelconque altermondialisme fumeux, mais au contraire d’une démarche tranquille qui prend en compte les réalités et recherche des solutions réalistes loin des a priori idéologiques.

 

4) Aspect social des économies d’énergie : le GEFOSAT assure la promotion de plans de rénovation qui associant propriétaires, installateurs et autres corps d’état, et propriétaires. Pour faire face aux problèmes de familles défavorisées qui ne parviennent pas à honorer leurs factures énergétiques dans du vieux, il est parfois plus avantageux économiquement, socialement et écologiquement de subventionner une rénovation et un changement énergétique plutôt que de laisser des gens s’enfoncer dans l’endettement.

 

 

D’après mes propres notes (Jean-Luc Bernet) et celles d’Alain Neveu que je remercie

1 Je me suis livré à un petit calcul qui vaut ce qu’il vaut : la superficie totale d’un dirigeable des années 30, une fois revêtue de panneaux solaires souples (technologie parfaitement au point) dégagerait une puissance de 1,654 MWc, c’est-à-dire exactement la puissance développée par le plus grand des Zeppelin. Certes, il s’agit de MWcrête…mais j’arrête là, cela nous entraînerait trop loin. L’hypothèse est d’ailleurs en cours d’étude même si je n’ai trouvé sur ce point que des allusions.

2 Cela dit, si vous faites comme moi et que vous allez voir ce qu’on trouve avec le mot-clé « dirigeables » sur Google, vous apprendrez quand même bien des choses fort intéressantes, et …qui sait ?

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